Degas et les nus
Le nu chez Degas (1834-1917) représente 1/5 ème de son oeuvre, sous toutes les formes, à l'huile, au pastel, au crayon, en lithographie, en sculpture. Le musée d'Orsay nous offre de contempler une partie de ces nus. Un parcours intéressant mais difficile à voir, tant il y a de monde !
Degas, issu d'une famille bourgeoise aisée décide de copier au Louvre, dés l'obtention de son baccalauréat, il a 19 ans. En 1854, il fréquente l'atelier de Louis Lamothe, en 55 il rencontre Ingres. En copiant les maîtres dont, Michel -Ange, Mantegna, Degas affine son trait. Il montre un goût prononcé pour le sujet historique. De 56 à 59 Degas copie les Antiques, dessine des nus masculins, apprend les ombres, les hachures. En 58 rencontre Gustave Moreau. il dira de cette époque 'ici le mieux est d'employer mon temps à étudier mon métier'.
Et il étudiera bien.
En 59 il loue un atelier à Paris. Il met en pratique ce qu'il a appris, avec sa propre inspiration : ses nus sont plus contemporains qu'antiques. Degas excelle dans le dessin. Il revisite à sa façon la peinture d'histoire, dessine les corps avec plus de réalisme ambigu, les Petites filles spartiates provoquant des garçons seront l'objet de plusieurs esquisses, au dessin, la jeune fille tendant le poing, assez agressive sur le dessin , plus provoquante sur la peinture à l'huile date des années 60-62 restera chère à Degas. Souvenir de jeunesse où tout était possible. En 65, Degas présente au salon ' Scène de guerre au Moyen Age', dont on veut faire aujourd'hui un manifeste pour la cause des femmes violées en temps de guerre. Il aurait fallu que monsieur Degas se livre à ce sujet, mais Degas est un pudique sentimental et taiseux, sous ses dehors entiers, intransigeants, alors reste l'ambiguité provoquée par ce type de peinture, certainement voulue : voyeurisme, provocation de carabin,désir d'humanité, ou tout simplement besoin bien légitime de s'essayer aux grands maîtres, en modernisant à sa façon , nous n'en saurons jamais vraiment rien.
Et puis ce tableau intimiste, qui fera couler beaucoup d'encre, Intérieur. Hypothèse d'un viol ? séparation de 2 amants ? virginité perdue ?
De 1876 à 1879, finis les beaux nus, les femmes violentées qui restent quand même belles, place au grotesque, à la caricature, aux pubis 'origine du monde' des dames des maisons closes qui se baladent toutes nues, dans des poses obscènes, qui assises écartent les jambes sans grâce .. Degas utilise le monotype à l'encre noire. Ces femmes ont toutes le même physique, cuisses et fesses charnues, petit ventre, visage grossier, ce qui permettait de déclarer, selon la théorie scientifique en vogue de l'époque : la physiognomonie que les prostituées correspondaient à un type physique particulier, héréditaire qui plus est, théorie à la mode qui les déterminait, socialement, physiquement à n'être que prostituées. Là encore, que des hypothèses, Degas adhérait-il vraiment à ce courant (physiognomonie), ou bien, lui servait il d'alibi, de prétexte à s'exercer à une pornographie libératrice, malicieuse, licencieuse où la caricature et l'humour lui servaient aussi à exprimer ses peurs secrètes... Auriez vous eu peur, monsieur Degas, pour des raisons qui vous appartiennent, du sexe féminin ?
Degas continue à explorer, vers 1880, le nu féminin en nous faisant découvrir la vie la plus intime des femmes, celle que l'on n'évoque pas, dans son monde, tout ce qui concerne les soins du corps, et là, il peindra à nouveau des femmes de la bourgeoisie, une servante est là pour témoigner du rang social. Degas incorrigible, si il n'accentue plus les traits (pubis, abdomen rebondi, traits simiesques), met ses baigneuses dans des contorsions équilibristes, des poses qui ridiculisent un peu ces femmes qui interpellent, à moins que ce ne soit aussi un effet de style, une étude anatomique du mouvement. Réjouissons nous de cette équité : prostituées ou bourgeoises, toutes effrayaient un peu Degas, sexuellement. Il dira des femmes nues qu'il peint ' Je les montre sans leur coquetterie, à l'état de bêtes qui se nettoient'. Degas est assez touchant dans ses contradictions, dans ses ambiguïtés, très humain, ce Degas. Degas aura de solides amitiés féminines, Berthe Morisot, Mary Cassatt, Suzanne Valadon qui poseront pour lui, pas nues, non !!. Il aura un faible pour une cantatrice Rose Caron. Degas n'est pas un réel misogyne, mais un homme plus fin et sensible qu'il n'y parait, qui a tout bonnement les idées de son époque en ce qui concerne les femmes. Peu à peu, Degas enfin libéré ou ayant dépassé ses préjugés, où bien se moquant de tout, peindra aussi et de plus en plus, des nus plus fondus moins réalistes mais devenus enfin gracieux, touchants, naturels où Degas alors n'est plus qu'un peintre soucieux du trait, des couleurs de ses pastels où les décors se fondront, évoquant les intérieurs futurs d'un Vuillard. Degas est un peintre à part entière.
Côté sculpture, Degas n'est pas très convaincant, seule, La Petite Danseuse émerge.C'est un peu lapidaire comme jugement, mais c'est mon droit.
A partir de 1890, ce solitaire s'isole davantage, devient 'indifférent', continue à vivre sans réel plaisir de vivre, mais se livre à ses collections, à sa peinture appréciée de ses contemporains, à ses rares amis qui se meurent d'ailleurs les uns après les autres. Les dernières années de sa vie, Degas sera une enveloppe vide soignée par sa servante Zoé. Il meurt sans souffrance en 1917.