Revu Soutine, en bonne compagnie au musée de l'Orangerie où 22 tableaux ( portraits, paysages et carcasses) sont exposés.
Il est décidément de ceux qui hurlent, Soutine, que ce soit dans les formes de ses visages dont les traits se tordent, ou le choix des couleurs vives, criantes, saignantes. Certes on le dit inspiré de peintres prestigieux du Louvre comme Jean Fouquet, Ingres, Courbet, Chardin ou Rembrandt, mais de très loin, son âme slave se charge de mener son pinceau furieusement, d'étaler parfois la peinture avec ses doigts, de jouer avec les tubes de couleurs à même sur la toile soit en gros traits, plus rarement en filaments multicolores qui viennent adoucir un blanc épaissi à coups de pinceaux comme pour ses enfants de choeur. Et puis à le regarder mieux, on se surprend à l'écouter Soutine.
Surprenant Soutine lui qui aime représenter la disgrâce, une délicate figure étonnante non ?
Belles les couleurs insolentes des carcasses de boeufs,
détonantes même; si elles étaient composantes d'un bouquet, d'une fenêtre ouverte sur un jardin, leur flamboyance osée pourrait s'apparenter à l'exubérante allégresse d'une fin d'été mûrissante, où le soleil a brûlé si fort que les feuilles ont en rougi, mais ces couleurs là si belles ne sont là que pour sanguinolentes carcasses toujours étonnamment fraîches qui témoignent d'une souffrance ancienne toujours vive que Soutine, le petit russe à l'enfance difficile, introverti, si peu sûr de lui n'a pas pu, su ou voulu dépasser. A moins que Soutine, ne se soit ainsi soigné, exultant ses peurs anciennes, ses souffrances d'enfant, crachant au ciel ses tourments. A moins encore que Soutine n'ait pris plaisir extrême à peindre d'après nature, par l'exposition dans son atelier de carcasses, uniquement ancré sur la peinture d'après charogne, à la manière d'un Géricault qui lui peignait des trépassés d'après cadavre. Soutine à Paris connût 10 ans de privation, rencontra l'alcool avec Modigliani, ce qui creusa un peu plus un estomac déjà fragile, ce n'est qu'en 1923 que l'incontournable Barnes lui amena un peu de confort. il avait alors 30 ans. On peut dire tout et n'importe quoi sur Soutine qui n'a laissé aucun écrit, et je ne m'en prive pas. Il est attachant Soutine dans ses outrances, un peu exaspérant quand même à ne voir que la laideur des êtres, mais sans doute en avait il besoin Soutine pour être heureux; pouvoir exorciser ainsi son mal de vivre en peignant fut un bonheur pour cet homme qui n'était pas accessible aux petits bonheurs simples, exprimer ses angoisses dans les visages peints, et pouvoir en vivre, quelle revanche pour ce taiseux introverti. Et Soutine fut un homme heureux. Il a connu de belles femmes Soutine, il en fut aimé d'au moins 3, il a eu une fille mais ne la reconnut pas. Il est nécessaire de s'aimer pour aimer, et Soutine ne s'aimait pas vraiment. Ses portraits de femme sont durs, peu indulgents. Une fiancée particulière, était elle une fille de joie, était elle une femme vertueuse, était elle un modèle ou les 3 à la fois ?
Toute son attitude en tous cas montre une vertueuse et comique réprobation.
Et pourtant, il en peignit des femmes mutines, sensuelles, coquines aux traits plus délicats, Soutine, auriez vous été parfois banalement heureux ? Auriez vous été, vous aussi, accessible à une tendre sentimentalité ?
Aimait bien les volailles, les lapins, Soutine, juste avant qu'on ne les mange, juste après qu'on les ait tués. Cela lui rappelait dit on des souvenirs d'enfance lors de sacrifices rituels religieux, moi je veux croire que Soutine aimait bien ce genre de modèles, silencieux, inertes, moins pénibles que les femmes, plus accessibles en somme.
Soutine s'intéressait au monde dans lequel il vivait, c'était un homme qui aimait les choses simples, qui aimait peindre les petits métiers de Paris, en uniforme.
et puis les Pâtissiers, qui assurèrent à Soutine enfin un peu de confort, en la personne du collectionneur Barnes qui lui acheta plusieurs toiles.
Soutine n'était pas un dessinateur, son truc à lui, c'était la peinture et le mouvement, alors les maisons, les arbres, les visages, tout danse chez lui, tout est en remous, comme ses émotions, le bonheur a existé pour lui, certainement, dans tous les domaines, mais la guerre l'a séparé d'un de ses amours les plus sûrs, la misère l'a éloigné longtemps de tout confort matériel, et enfin le mal trop avancé a été mortel. la chance ne l'a pas vraiment accompagné, Soutine.
Bon, nous ne sommes plus dans la visite de l'Orangerie, je m'éparpille ailleurs dans l'oeuvre, enfin une partie.
Les mains sont particulières je trouve, des pognes, plus que des mains, des paluches, de travailleur, un peu comme ses mains à lui
d'ailleurs, et elles sont ces mains si besogneuses, si utiles, toujours mises en valeur. Elles sont même le centre du tableau ces mains. Elles s'étreignent ces mains, elles sont parfois semblables à des moignons sanglants, elles sont très expressives les mains chez Soutine, elles parlent ces mains là.
Etonnant Soutine, secret mais laissant des indices dans ses peintures, ou nous brouillant les pistes.
Romantique Soutine ? Ses glaïeuls sont rouges vermillon, de vie, de passion, d'amour, et on va terminer sur ces fleurs pour nous, juste pour nous.
A vous revoir encore Chaïm Soutine.