Lettre à Gustave Doré
Monsieur
Comme beaucoup de mes congénères j'ai eu maintes fois l'occasion de trembler sous vos illustrations assez effrayantes qui ornaient les non moins terrorisants contes de Perrault qui ont baigné mon enfance, c'est d'autant plus caustique qu'à l'époque nos lectures étaient fortement censurées; Bien entendu, votre nom ne m'évoquait alors rien, ce n'est que bien plus tard, que j'ai associé votre nom à vos dessins définitivement inoubliables.
Et puis la vie me fit oublier votre nom, d'autres lectures m'attendaient. Bien plus tard encore, j'avoue humblement, Gustave, que je vous confondis souvent avec deux de vos semblables fort célèbres, le Courbet 1819-1877 dont l'audacieux L'origine du monde et l'inquiétant autoportrait dit le désespéré ne justifient pas cette confusion je l'avoue, et le Moreau 1826-1898 plus mystique et symbolique que vous que l'on peut visionner sur ce blog. J'ai vécu fort bien sans vous, jusqu'à ce que le musée d'Orsay ne nous propose une exposition de vos oeuvres, alors par curiosité, j'ai tenu à vous rencontrer et je n'ai pas été déçue.
Au cours de cette visite dense et peuplée m'ont frappé cette petite scène de garrot
toujours votre désir de faire peur, ce goût pour le macabre, ah le visage du supplicié est fortement bien rendu juste avant ....Votre Parque, ombre menaçante vaut également le détour, oh ce visage à l'austérité implacable
et l'amour qui l'ignore ce fat !
et puis les gracieux petits bouts de personnages gelés ne déparent pas dans le 9ème cercle de L'enfer de Dante
avec un Ugolin en grande forme qui dévore le cerveau de l'archevêque Ruggiéri
sous les yeux indifférents de Dante et de Virgile.
Dans vos immenses tableaux assez académiques fourmillent des personnages grimaçants, terrifiés .... Vous avez toujours eu peur Gustave, des autres que vous vouliez surpasser, de vous même que vous ne pouviez dépasser. Vous êtes ambigu, cher Gustave, d'un côté votre appartenance à un milieu bourgeois vous attache fortement quand de l'autre côté, bon acrobate et violoniste vous adorez jouer les saltimbanques; d'un côté romantique symbolique vous adorez le plus cruel réalisme, talentueux dessinateur reconnu par tous, vous voulez briller dans la peinture; enfin d'un humour féroce jusqu'à la caricature vous pouvez vous plonger dans la mélancolie la plus noire.
Un point où vous me surprenez également sont vos paysages croquignolesques, oui pardonnez moi le mot, ces tableaux laborieux m'évoquent les peintres du dimanche qui veulent en faire trop, trop de couleurs, trop de courbes, trop de volutes, trop de nature en furie ou dépérissant et puis cette bizarre ligne horizontale lumineuse et artificielle
oui vos paysages sont un rien affectés, factices, faits de petites touches picturales intéressantes isolées mais qui réunies donnent un ensemble disparate et amateur appliqué.
Et puis des petits trésors qui montrent un talent plus rare, moins commun un Pierrot grimaçant, des chouettes
Balzac, Byron, Cervantès, Dante, Hugo, La Fontaine, Perrault, Poe, Rabelais, Comtesse de Ségur, Shakespeare ont bénéficié de votre talent, vos sculptures, et oui même votre peinture ont contribué à faire de vous le Doré (1832-1883) l'un des trois Gustave que je ne confondrai plus.
Au musée d'Orsay jusqu'au 11 Mai 2014, les enfants seront intéressés.