Alexandre Vialatte 1901-1971
Quels bonheurs on pouvait s'inventer dans les Îles. extrait Les Îles : 'C'était le royaume du bonheur qu'on attend et qui ne viendra pas.' extrait
Voilà, c'est dit, c'est un livre sur les rêves, ceux présumés d'adolescents nés il y a un peu plus de 100 ans déjà, c'est un livre sur le temps passé où l'imagination pouvait encore déborder, créer des aventures extraordinaires, des épopées fantastiques où il y a des élèves avec un principal particulier : Monsieur Vantre Principal du collège buveur de chartreuse et autres liqueurs qui menait ses élèves dans ses chasses d'une manière aussi lyrique qu'imaginaire, de telle sorte que les élèves virent au bout de la ville là où ce n'était que nu, plat et blanc, si désolé, une île d'abord celle de la mâchoire, à côté l'ile du moulin à vent avec une tour en ruine où un soir une lumière ... extrait
élèves qui se transforment en petits chevaliers, elfes, héros, ce que vous voudrez, tous épris d'une princesse Dora.
Dora, Reine des Îles, du Labyrinthe et du Moulin à vent : "peut être n'étais-tu, t'accrochant aux brins d'herbe et t'inventant des fétiches protecteurs, que le gibier traqué de M. Panado ? une enfant qui recule de cachette en cachette et qui jette du sable, affolée, pour aveugler celui qui vient " extrait C'était une grande fille souriante qui avait l'air tendre, intelligent, ironique et grave des Françaises. Elle sentait la pipe, la lavande, l'eau de javel et l'herbe mouillée.... et son rire, au milieu de cet océan vert, était comme une île de corail. extrait
Dora était Marthe Perrin-Darlin, Dora n'était qu'un rêve, une certaine idée de l'amour pour des jeunes gens imaginatifs et avides d'aimer comme on peut l'être à cet âge. Dora est morte, assassinée par le Temps qui tue presque tout. Dora d'or, Dora noire, Dora morte.
Le narrateur n'existe pour les 2/3 du livre que par sa narration, mais il se dévoile nostalgiquement de temps en temps en pleurant ces êtres disparus. Nous n'irons plus au Labyrinthe, aux Iles et au moulin à vent. Dans l'épilogue, il n'y a presque plus que lui qui fait le bilan, nous rapporte ce qu'ils sont tous devenus.
Monsieur Panado n'est peut-être qu'un des visages du néant. Peut être n'existe-t-il que par sa propre absence ? extrait. Monsieur Panado représente le Destin, la Mort, auquel nul n'échappera.
Les Vingtrinier, le père avocat, la mère morte, Marcel qui sera tué au front, un dont on ne sait rien, au début du livre et Joseph qui fut au collège. Habitent dans la rue Quattrebarbe. Joseph parti ' Loin de ce fils adroit et cynique, il (le père) tournait comme un homme sans âme, comme un escargot sans coquille ...il buvait de l'absinthe chez la veuve ... il se mit à tuer des mouches. Il les visait, les aplatissait d'un geste adroit, les attrapait délicatement par une patte. Monsieur Vingtrinier ne faisait donc rien, mais ce rien, il le faisait à l'heure. Il tenait un agenda serré de ce qu'il aurait fallu faire au moment où il écrivait. extrait Il s'occupait aussi de donner du mou à son chat Petit-Monsieur, il prenait le pernod du soir chez la mère de Marthe. Monsieur Vingtrinier est le fou assassin, il y a forcément de terrifiantes histoires d'assassins dans ces histoires. Monsieur Vingtrinié fut mis chez les fous.Et son cas servit à une thèse. extrait
La grande négresse : Ce fut au sein d'une grande mélancolie que la noire pharmacienne du boulevard Saint-Michel devint la dame plate, l'icône, la déesse en papier, de l'affiche des "Fruits du Congo". extrait. Cette affiche servait à attirer les jeunes Français à s'engager.
Fredéric Lamourette, orphelin, receuilli par son oncle le docteur Peyrolles, porte un melon, redouble ses math-élem, censé préparer Saint-Cyr, brillant mais son destin est d'être un héros tragique amoureux d'une fantomatique Dora. La Grande négresse le prendra dans ses bras,il mourra devant une ville défendue par les Turcs.
Théo Gardi le violon tzigane du café Russe. Forcefil atteint de diabète graisseux qui mourut en 3ème, Potter et Pechmarty, le petit Bonheur dont le père tenait les 'plaisirs de Corée' ... un fourmillement de petits personnages, croqués avec humour et exactitude. Family, lampe Pigeon ... Livre à relire, tant il y a de détails qui peuvent un brin lasser si l'on veut tout saisir d'emblée, alors y revenir, car on devient curieusement dépendant de ce récit, parfois il agace, souvent il ravit, mais dans tous les cas il ne laisse pas indifférent.
Les choses périssables ont péri. Le monde s'est vidé des choses, il n'est resté que leur reflet. ... Et la lumière était si belle et si étrange qu'on aurait dit aussi la lumière du bonheur. Les années ne font rien aux choses. Dora a laissé dans nos coeurs le regret d'un bonheur que nous n'avons plus connu. Il y a peut-être un"bonheur des Îles" qui n'est pas fait comme les autres.
Je sais bien aujourd'hui que les pommes du voisin ne sont pas meilleures que celles du verger familial, et cependant toute notre vie est réglée sur cette illusion. Nous ne croyons qu'aux fruits de la négresse.
Et de quoi vous plaindriez vous ? Vous n'aurez "que le ciel et les sables" ? Le ciel et les sables sont grands.
Ce livre est un livre sur la maturité qui évoque un type d'adolescence, il s'en dégage une douce et tendre nostalgie, où l'espoir reste présent, oui, le ciel et les sables sont grands, encore.